Des dizaines de salariés d'Amazon à Montélimar (Drôme) montrent leur angoisse face à l'épidémie de coronavirus Covid-19. Ils ont débrayé mercredi 18 mars et invoquent leur droit de retrait, en réclamant la fermeture du centre de dépôt.
Dans l'entrepôt Amazon de Montélimar (Drôme), des dizaines de salariés ont débrayé et cessé le travail, mercredi 18 mars, pour la deuxième journée consécutive, pour réclamer plus de mesures de sécurité face à l'épidémie de coronavirus Covid-19. Les salariés en colère invoquent leur droit de retrait et réclament la fermeture du dépôt qu'ils jugent trop dangereux.
"Il y a possibilité de propager le virus"
Christophe Néant, élu suppléant CSE CGT : "On n'a aucun matériel aujourd'hui pour se mettre en sécurité, à part des lingettes pour nettoyer les charriots. Et encore, les charriots ne sont même pas nettoyés à chaque fois qu'ils sont pleins."
Sandrine Chabert, élue CSE CFDT: "Même s'ils disent qu'on est éparpillés sur le site, on est amenés à se croiser notamment dans les vestiaires. Il n'y a pas un mètre et tout le monde touche les vestiaires sans gants sans rien. Donc là il y a possibilité de propager le virus, et déjà de l'avoir emmené. Et quand on ressort, comme on a croisé beaucoup de personnes, on est susceptibles aussi de contaminer nos familles."
Des "menaces de sanctions"?
Au-moins 5 salariés d'Amazon auraient contracté le Covid-19 en Italie et en Espagne selon le Los Angeles Times, qui précise que ces centres sont restés ouverts.
Selon les syndicats, le personnel s'inquiète de plus en plus: "les salariés sont contraints d'aller travailler sous la menace de sanctions", selon Julien Vincent, délégué CFDT. L'entreprise "ne reconnaît pas le droit de retrait et ne met en place aucune mesure sanitaire sérieuse, à part quelques flacons de gel", indique-t-il.
Le reportage de Nicolas Ferro et Vanessa Fize:
Les jouets et les DVD, produits de première nécessité?
La direction d'Amazon a répondu par mail à nos demandes d'interview mercredi 18 mars, pour assurer aux salariés que tout est fait pour "garantir leur sécurité, dans le monde entier. Nous suivons strictement les recommandations et directives du gouvernement et des autorités sanitaires locales dans tous nos sites en France. Nos équipes travaillent pour s'assurer que nous pouvons continuer à livrer les clients les plus touchés, dont beaucoup n'ont aucun autre moyen d'obtenir des produits essentiels."
La direction précise que plusieurs protocoles sont mis en place, comme le "nettoyage de toutes les installations en désinfectant régulièrement toutes les poignées de porte, les rampes d'escalier, les boutons d'ascenseur, les casiers et les écrans tactiles", ou encore la modification des "lieux de travail, des salles de pause et des espaces de restauration en retirant les meubles ou en les espaçant pour que les salariés puissent maintenir la distance nécessaire et ainsi garantir un espace sain entre eux".
Enfin la direction précise que la vente de produits de première nécessité justifie le maintien de l'activité, un discours difficilement audible pour les employés du site.
C'est ce que nous confirme Christophe Néant: "Les produits qui sont vendus ne sont pas nécessaires à la France ! Le président Emmanuel Macron a bien expliqué que les sociétés qui restaient ouvertes aujourd'hui devaient être "primordiales" pour la nation. Ce n'est pas en vendant des DVD ou des livres. J'estime qu'on prend beaucoup trop de risques pour ce genre de produits!"
"Impossible de mettre en oeuvre des distances de sécurité"
La direction d'Amazon indique également qu'elle recommande sur ses sites le lavage des mains et les distances de sécurité. "Impossible de mettre en oeuvre des distances de sécurité, sinon on ne peut pas travailler", tempère le délégué syndical JulienVincent, délégué CFDT.
La direction détaille également les gestes barrières mis en place : "le nettoyage des installations, la désinfection des postes de travail et des véhicules au début de chaque shift, les annulations de réunions non-indispensables, des pauses échelonnées pour réduire le nombre de personnes se rassemblant dans les espaces de restauration".
La procédure du droit de retrait a quand-même été lancée par les syndicats, en raison d'un danger grave et imminent selon eux.
Des produits déjà en rupture de stock
Amazon nous a confirmé que "certains produits tels que les produits de base, d’hygiène et de santé et autres produits à forte demande sont en rupture de stock."
Ces produits de première nécessité sont donc dorénavant priviégiés par le groupe américain: "Afin de pouvoir recevoir, réapprovisionner et livrer plus rapidement ces produits aux clients, Amazon leur privilégie temporairement l’accès à ses centres de distribution. Amazon comprend qu’il s’agit d’un changement dans l’activité de ses vendeurs partenaires et apprécie leur compréhension alors qu’Amazon donne temporairement la priorité à ces produits pour les clients."
Concrètement, cela signifie que les produits non prioritaires, commes les produits de loisirs, les DVD, les jouets etc., ne seront pas réapprovisionnés, et seront donc en attente, jusqu'au 5 avril minimum.
Cette mesure concerne dès à présent les États-Unis et l'Europe.
"Nos besoins en personnel sont sans précédent"
Le géant mondial de l’e-commerce Amazon doit dans le même temps recruter massivement pour répondre à une demande accrue liée au confinement.
"A mesure que le Covid-19 s’est répandu, nous avons vu une hausse du nombre de personnes qui achètent en ligne" écrit l’entreprise dans un blog spécialisé: "Nos besoins en personnel sont sans précédent pour cette période de l’année".
Selon les observateurs, le géant du commerce en ligne se retrouve au coeur de la vie quotidienne de millions de personnes confinées chez elles, et pourrait donc émerger de la pandémie de coronavirus plus puissant que jamais s'il joue ses cartes correctement.
"Regardez la journée typique des gens en ce moment: ils travaillent en ligne, en utilisant peut-être des outils collaboratifs alimentés par les serveurs d'Amazon. Ils font leurs courses sur internet et le soir ils se divertissent avec des plateformes comme Netflix, qui fonctionnent à partir du cloud d'Amazon", constate Bob O'Donnell, de Technalysis Research.
Encore faut-il pouvoir répondre à l'explosion des commandes en ligne. "Certains produits de base pour la maison et certains produits médicaux sont en rupture de stock (...) Ces produits en forte demande seront désormais prioritaires dans nos centres de commandes", et ce jusqu'au 5 avril, a indiqué mardi à l'AFP un porte-parole d'Amazon.
La distribution, le nerf de la guerre
La grande faiblesse du commerce en ligne, c'est d'abord la livraison. "Si UPS ou Fedex fermaient, Amazon ne serait pas capable d'assurer la distribution" précise Bob O'Donnell.
La société a annoncé lundi qu'elle allait recruter 100.000 personnes pour ses entrepôts, centres logistiques et opérations de livraison aux Etats-Unis. Les salariés européens recevront désormais 2 euros de plus par heure environ "pour que les autres puissent rester chez eux".
Amazon a promis jusqu'à 2 semaines de salaire à ses employés contaminés (moins de 10 personnes, à ce stade, d'après la presse américaine) ou placés en quarantaine. Elle a aussi débloqué des fonds pour soutenir ses salariés ou contractuels qui se retrouvent en difficulté financière.
Des mesures insuffisantes pour certains salariés, qui ont récolté plus de 1.500 signatures pour une pétition demandant notamment "des congés maladie quel que soit le diagnostic" et la fermeture de tout bâtiment où une personne infectée aurait travaillé.
Amazon peut-il fermer?
"L'enjeu pour Amazon, c'est d'empêcher la propagation du virus dans ses centres de distribution", note Patrick Moorhead, de Moor Insights and Strategy. "Dans le pire des cas, ils se retrouveront dans la même situation que tous ces magasins physiques qui ont dû fermer. Mais s'ils relèvent le défi, ils seront applaudis comme des sauveurs".
Amazon doit aussi lutter contre les faux remèdes, mensongers ou dangereux, et les arnaques. Interpellée par un élu américain sur les prix exorbitants de masques et de gels hydroalcooliques, la société a assuré surveiller sa plateforme 24h/24 et avoir déjà retiré des dizaines de milliers d'offres.